Le Sud-Soudan accède, au terme d’un référendum d’autodétermination, à l’indépendance dont la proclamation officielle aura lieu demain samedi 9 juillet 2011 à Djouba, capitale du nouvel Etat. Passée l’euphorie de la souveraineté politique acquise, place aux énormes défis de développement qui attendent la cinquante-quatrième nation africaine meurtrie par deux décennies de guerre civile contre l’ancienne puissance tutélaire de Khartoum.
Vingt-deux ans de conflit. Deux millions de morts. Quatre millions de déplacés. Lourd bilan humain auquel s’ajoutent d’innombrables dommages économiques. A l’évidence, le prix payé par le Sud-Soudan pour son indépendance est l’un des plus élevés dans l’histoire des luttes d’émancipation. Pouvait-il en être autrement, au regard de la nature, par scissiparité, de l’avènement du cinquante-quatrième Etat du continent noir ?
Pour mieux comprendre cette longue et sanglante conquête de la liberté, il faut replonger dans l’histoire du Soudan, dont les péripéties politiques s’enracinent sous le terreau identitaire.
Le Soudan tire son nom de l’expression arabe « Bilad al-Sudan », en d’autres termes, l’ensemble des pays des Noirs. Sa partie Nord appartient, par la langue et la religion, au monde arabo-musulman ; sa partie Sud, animiste et chrétienne, est ancrée dans le domaine sub-saharien. Ce clivage, à la fois géographique, linguistique et religieux, associé à une domination politique s’exerçant au détriment des populations du Sud, a largement contribué au déclenchement de la guerre civile qui déchire le Soudan de manière quasi ininterrompue depuis l’indépendance acquise en 1956.
Le 19 janvier 1899 est instauré un condominium anglo-égyptien sur le Soudan. En réalité, le Royaume-Uni apparaît comme le véritable maître du pays, établissant dans le Nord une organisation administrative efficace, et favorisant le développement économique de la colonie, notamment par l’irrigation de la Gézireh (région agricole située entre le Nil Blanc et le Nil Bleu). La mainmise britannique est bien plus souple dans le Sud, placé sous l’autorité d’une poignée de fonctionnaires coloniaux, les « barons du marais » et sous l’influence des missionnaires chrétiens, autorisés par le gouvernement britannique à évangéliser les populations nilotiques.
Les Français tentent également de s’établir dans cette région : l’expédition menée par Marchand à Fachoda manque de provoquer un affrontement direct entre les deux puissances coloniales occidentales. Kitchener contraint les Français à se retirer en échange de l’abandon de leurs prétentions sur le Sahara. La pacification du Soudan a été difficile et n’est réellement achevée qu’en 1916, après l’assassinat du sultan du Darfour par des agents anglais.
Indirect rule au Nord, southern policy au Sud
A la suite de l’indépendance de l’Egypte, en 1922, le nationalisme soudanais redouble de vigueur. Il est cependant divisé entre partisans de l’intégration à l’Egypte et indépendantistes, représentés par le parti Oumma (dont le nom signifie littéralement la communauté musulmane) allié à la secte des Ansars (disciples du Mahdi).
En 1924 a lieu un premier soulèvement dans le Sud. Les Anglais choisissent alors de mener une double politique, l’« indirect rule » au Nord, les cheikhs servant d’intermédiaire entre les autorités anglo-égyptiennes et la population, et le « southern policy » au Sud. En pratique, Nord et Sud cessent toutes communications, les Anglais empêchant tout contact entre les deux parties du Soudan. Cette politique est source de frustration et de ressentiments.
Au Nord, les populations estiment que les sudistes, accusés de ne pas être de véritables nationalistes, font figure de traîtres, alors qu’au Sud les populations ont le sentiment d’être des oubliés, des laissés-pour-compte. En 1936, un traité signé par l’Egypte et le Royaume-Uni confirme la convention de 1899. Toutefois, après la Seconde Guerre mondiale, les deux pays entament des négociations afin de réviser ce traité. Le gouvernement égyptien exige le départ des Britanniques du Soudan, lesquels s’y refusent ; ils ne consentent qu’à de légères modifications institutionnelles.
En 1948 est élue une assemblée législative, dominée par les partis représentant le Nord du pays. Les députés exigent des deux puissances coloniales la création d’un gouvernement soudanais et dénoncent le condominium. En octobre 1951, Farouk d’Egypte se proclame unilatéralement roi du Soudan. Après que le souverain eut été contraint d’abdiquer par le général Néguib, le Soudan se voit reconnaître, en 1952, le droit à l’autodétermination.
La « soudanisation » du pays
De nouvelles élections législatives ont lieu à la fin de l’année 1953. Le parti démocratique unioniste, pro-égyptien, et le parti Oumma remportent la majorité des sièges, ce qui entérine la marginalisation des partis politiques du Sud. La formation d’un gouvernement « entièrement » soudanais, composé pour l’essentiel de représentants du Nord, en janvier 1954, marque le début de la « soudanisation » du pays, qui crée un contexte favorable à un affrontement civil entre les populations du Nord, musulmanes, et celles du Sud, chrétiennes et animistes. Celui-ci éclate dès août 1955. Conduits par le mouvement Anya-Nya, les Sudistes revendiquent la création d’un Etat distinct. Ils reçoivent le soutien des Etats-Unis, d’Israël, de l’Ouganda et de l’Ethiopie.
La République (unitaire) du Soudan, reconnue immédiatement par l’Égypte et le Royaume-Uni, appuyée par l’Union soviétique dans sa lutte contre le Sud sécessionniste, est officiellement instaurée le 1er janvier 1956. Le Soudan devient membre de la Ligue arabe le 19 janvier et des Nations unies le 12 novembre de la même année.
Les élections législatives de 1958 donnent la majorité au parti Oumma. Toutefois, l’armée se révolte et porte au pouvoir le général Ibrahim Abboud, favorable à une intensification des relations avec l’Egypte. Sa démission, intervenue en 1964 après une violente révolte estudiantine, permet le rétablissement provisoire de la démocratie, mais ne modifie en rien la politique menée à l’égard du Sud.
Après la guerre israélo-arabe de 1967, la diplomatie du pays s’affirme résolument pro-arabe. En 1969, un groupe d’officiers, avec à sa tête le général Djafar al-Nemeiri, prend le pouvoir et installe un gouvernement placé sous l’autorité d’un conseil révolutionnaire. Le nouveau régime réprime le mouvement fondamentaliste des Frères musulmans et le parti Oumma, se rapproche des Etats-Unis et de l’Egypte (il est le seul pays de la région arabo-musulmane à soutenir l’accord de paix avec Israël) et négocie un cessez-le-feu avec les sécessionnistes du Sud, auxquels l’autonomie est accordée.
En juillet 1971, une tentative de coup d’Etat imputable à des officiers communistes échoue. Le général Nemeiri en profite pour décapiter le Parti communiste soudanais (le plus puissant d’Afrique), opère des milliers d’arrestations et fait exécuter des opposants, parmi lesquels Joseph Garang, l’ancien ministre des Affaires du Sud et le secrétaire général du parti, Abd al-Khaliq Mahjoud.
Confirmé à la tête de l’Etat en 1972, réélu pour un troisième mandat en avril 1983, Nemeiri, confronté à la faillite de l’économie soudanaise, renoue avec les Frères musulmans, qui entrent au gouvernement, et fait appliquer la loi islamique (la charia). Le Sud, où, depuis le cessez-le-feu de 1972, les investissements étrangers affluent, est divisé en trois provinces.
Les Sudistes se rebellent de nouveau, refusant ce découpage géographique et l’entrée en vigueur de la charia. Ils sont désormais rassemblés au sein d’une seule armée, l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS), dirigée par le colonel John Garang et soutenue par les Etats-Unis d’Amérique. Ce sera le début de la seconde guerre civile qui embrasera le pays pendant 22 ans.
Instauration de la charia
Malgré la scission de son mouvement en 1991, John Garang maintient la lutte contre le pouvoir de Khartoum qui, après le coup d’Etat du général Omar el-Béchir en 1989, s’orienta de plus en plus vers l’idéologie islamiste insufflée par le cheikh Hassan al-Tourabi.
Après un conflit sanglant (deux millions de victimes) un cessez-le-feu est signé entre les protagonistes en 2002, consolidé en janvier 2005 par l’accord de paix de Naivasha, au Kenya.
Tandis que la guerre se poursuit dans le Darfour, les négociations entre le gouvernement et la rébellion sudiste de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), aboutissent le 9 janvier 2005 à la signature d’un accord de paix global et final à Nairobi (Kenya).
Cet accord, qui met fin à un conflit ayant fait deux millions de morts et quatre millions de déplacés, prévoit une période d’autonomie de six ans, suivie d’un référendum d’autodétermination pour la population du Sud. Il définit un partage du pouvoir et des richesses : John Garang devient le premier vice-président du Soudan le 9 juillet 2005, tandis que le SPLA se voit attribuer la moitié des ressources, essentiellement pétrolières.
Mais le décès de John Garang, seulement quelques semaines plus tard, dans un accident d’hélicoptère, provoque des émeutes violentes. Salva Kiir lui succède à la tête du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), la branche politique du SPLA. Toutefois, la normalisation politique se poursuit, et au mois de septembre suivant, un gouvernement d’union nationale est formé, pour la première fois dans l’histoire du Soudan.
Le référendum d’autodétermination organisé du 9 au 15 janvier 2011 consacre l’indépendance du Sud-Soudan avec environ 99% de OUI.
Demain samedi 9 juillet 2011, à Djouba, la proclamation officielle de cette accession à la souveraineté nationale, en présence de plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement, marquera la fin d’une longue et sanglante évolution vers l’émancipation. Elle marquera aussi l’entame d’une autre bataille : celle de la construction de l’avenir d’un nouvel Etat.
Le jeune Etat face à son destin
L’indépendance du Sud-Soudan intervient au moment où les Etats subsahariens viennent de commémorer, sur fond de désenchantement, le cinquantenaire de leur accession à la souveraineté politique.
Les nouvelles autorités sud-soudanaises parviendront-ils, quant à elles, à transformer l’essai. C’est-à-dire à faire de cette indépendance politique un tremplin à la lutte pour le développement socio-économique ? A priori, tout force à l’optimisme, au regard des potentialités du pays.
Situé dans l’une des régions les plus pauvres de la planète selon les indicateurs du PNUD, le Sud-Soudan dispose d’importants atouts pour réussir le pari du développement.
Son climat, tropical, et la présence du Nil blanc sont favorables à la culture de plusieurs produits vivriers et commerciaux comme le sorgho, le mil, le manioc, les patates douces, le coton, le blé, la gomme arabique, l’arachide, le sésame et les bananes.
Son sous-sol, riche en pétrole (85% de la production soudanaise actuellement) regorge de minerais de fer, de cuivre, de chrome, de zinc, de tungstène, de l’argent et de l’or.
Autant de richesses naturelles à même de permettre aux nouvelles autorités de faire face aux nombreuses tâches qui les attendent. Notamment les problèmes humanitaires et de développement telle la construction d’écoles, d’hôpitaux et d’infrastructures socio-économiques.
Encore faut-il que le pouvoir de Khartoum, désormais privé de ce qui fut naguère sa vache laitière taillable et corvéable à souhait, ne joue au trublion.
Mais au jeune Etat de ne pas prêter le flanc, faute de savoir dominer les contradictions de tous ordres qui ne manqueront pas de surgir.
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