Par MARIANNE MEUNIER
Créé en 2002, le mouvement a décuplé sa force de frappe malgré la perte de son chef. La déliquescence de l’État et l’extrémisme religieux sont ses deux terreaux.
Les autorités ont annoncé n’exclure aucune piste au lendemain des « attentats de Noël» qui ont fait au moins quarante morts au Nigeria les 24 et 25 décembre. Quatre attaques ont frappé le pays le plus peuplé d’Afrique (160 millions d’habitants) durant ces deux jours. Parmi les cibles, les locaux des services de renseignement à Damaturu, dans le nord-est, une église évangélique à Jos, dans le centre, ou l’église catholique Sainte-Theresa, à Madalla, à 35 km de la capitale, Abuja. L’assaut y a été le plus sanglant, ayant tué 35 personnes. « Nous cherchons au-delà de Boko Haram car d’autres individus voulant déstabiliser le gouvernement pourraient agir au nom de Boko Haram », a déclaré hier un porte parole de la police. Celui-ci fait référence à la secte islamiste qui a revendiqué les attaques et à laquelle le gouvernement en a attribué trois – dont celles contre les deux églises. Créée en 2002 à Maiduguri, dans le nord-est du pays, puis transplantée dans une ville voisine où elle a établi une base baptisée « Afghanistan », Boko Haram a donné les premiers indices de sa force de frappe en juillet 2009. Nés de l’attaque d’un commissariat, des affrontements entre forces de sécurité et membres de la secte se propagent alors dans quatre États du Nord en cinq jours. Bilan : 600 morts et 3 000 déplacés. Deux ans et demi après ce premier « coup d’éclat », Boko Haram n’a plus à démontrer sa capacité de nuisance. Fort de plusieurs centaines de membres recrutés parmi une jeunesse désoeuvrée et, plus rarement, dans des familles de notables, parfois originaires des pays voisins (Niger notamment), le mouvement ne limite plus son rayon d’action au nord-est du pays. En août, il revendique un attentat-suicide contre le siège des Nations unies, à Abuja, qui a fait 24 morts
Les membres de Boko Haram préconisent avant tout une observance stricte de la charia.
Il conduit des opérations spectaculaires, comme la libération de 700 prisonniers, dont 150 partisans, en septembre 2010, dans la prison de Bauchi (nord-est). En novembre dernier, à l’avant-veille de la fête musulmane de la Tabaski (nomdonné à la fête du mouton dans la région), Boko Haram mène plusieurs attaques – églises, postes de police – à Damaturu, tuant 150 personnes en un jour. Mélange d’arabe et de haoussa (langue parlée au Sahel), boko haram signifie littéralement « l’éducation occidentale est interdite », un slogan que certains spécialistes jugent par trop simplificateur en regard de la complexité du mouvement. Les membres de Boko Haram préconisent avant tout une observance stricte de la charia et jugent que les gouvernements locaux l’appliquent avec trop de laxisme – la loi est en vigueur dans 12 des 36 États du Nigeria. L’État et toute émanation de la laïcité ou d’une autre autorité qu’islamique sont des cibles privilégiées. « Les interprétations des motivations et de l’idéologie de Boko Haram diffèrent, note cependant l’ONG International Crisis Group (ICG). Certains, y compris des membres, évoquent un dégoût pour la corruption des autorités laïques. D’autres considèrent que cette idéologie violente du rejet s’enracine dans une doctrine religieuse élaborée. » Ce flottement tient en partie à l’absence de leader, aucun parrain n’ayant remplacé Mohammed Yusuf, chef de Boko Haram, tué en juillet 2009 lors des affrontements avec la police. « On ne sait plus qui est Boko Haram», note Daouda Aliyou, journaliste indépendant à Lagos. Les liens avec Al-Qaida sont plus clairs. ICG évoque une « inspiration considérable », relevant un usage de la rhétorique de la guerre sainte propre aux djihadistes d’Afghanistan. La sophistication des attaques conduit les spécialistes de la sécurité à redouter un soutien d’Al-Qaida au Maghreb (Aqmi), dont le champ d’action est tout proche.