par Daouda Aliyou
Au Nigeria, diplômés ou non, bon nombre de migrants africains vivent de petits boulots et de la solidarité de leurs compatriotes. Leur situation est d'autant plus précaire que les autorités sont, ces derniers temps, beaucoup plus regardantes…
"Au secours ! Pitié !" Jetés dans des fourgons par les forces de l'ordre, des immigrés africains qui ont tout perdu crient leur détresse. En novembre et début décembre derniers, les autorités nigérianes auraient, d’après des témoins, reconduit aux frontières des centaines – certains disent des milliers – d’étrangers qui séjournaient dans différentes villes du pays. Ces expulsés, pour la plupart tchadiens, nigériens et camerounais, auraient été, selon le gouvernement, en situation irrégulière et proches de la secte islamiste Boko Haram. Un agent des forces de l’ordre qui a pris part à l’opération affirme cependant, avoir agi sans vérifier si les étrangers étaient en règle ou pas...
Suspendue au bout de deux mois environ à la suite des critiques de la communauté internationale, cette dernière opération de police est toutefois révélatrice des difficultés quotidiennes que rencontre la majorité des immigrés africains du Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique avec plus de 150 millions d'habitants, mais sans politique migratoire explicite et cohérente. "Chaque jour, je fais le tour des commissariats de Lagos pour libérer des compatriotes parfois arrêtés arbitrairement par la police qui leur reproche d'être en situation irrégulière", affirme Urbain Mpugamano, président de l’association des Congolais de RDC.
Grands diplômes, petits boulots
Les étrangers, toutes nationalités confondues, en situation régulière ou non, seraient une quinzaine de millions dans le pays, estiment les services d’immigration. Selon la Commission nigériane de la population et la cellule en charge de l’urbanisme à Lagos, leur nombre aurait plus que doublé ces dernières décennies, atteignant 11 millions en 2005. Parmi eux, trois sur quatre proviendraient de pays voisins également membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Plus nombreux, les immigrés sont de moins en moins présents dans les grandes entreprises, même quand ils disposent des diplômes requis. Un quota d’étrangers y a en effet été mis en place en 2000 par le gouvernement pour donner plus de chance d'être embauchés aux nationaux. Il est de 30 à 40 % selon les sociétés et conditionné à l’obtention d’un permis de résidence. Tout sauf une simple formalité… "Je devais travailler pour la société nigériane des produits pétroliers, mais je n'ai jamais obtenu le permis de résidence. On m'a toujours dit qu'on examinait mon dossier. Pourtant, j'ai fait la demande depuis un an. Voilà comment j'ai perdu ce boulot lucratif", regrette un diplômé tunisien de 28 ans.
Pour éviter le goulot d’étranglement qu’est le permis de résidence qui ne garantit nullement un emploi, des immigrants, diplômés ou non, s’adonnent à de petits métiers tels que la cordonnerie ou le ramassage des ordures, pratiqué par les Nigériens et les Tchadiens. Quant aux Béninois et aux Togolais, ils sont en majorité cuisiniers. Les plus fortunés s’installent à leur compte. C'est le cas de Moctar Cissé, un Nigérien de 45 ans, patron d'une entreprise de décoration intérieure. "Je suis au Nigeria depuis 19 ans. Le plus souvent, je traite avec les personnalités de ce pays. Je demande à mes compatriotes de s'armer intellectuellement avant de partir de chez eux. Avoir des contacts dans le pays de destination est très important."
L'union fait la force
Ceux qui sont en galère au Nigeria apprécient eux de retrouver des compatriotes. "Nous ne pouvons pas rester indifférents à leurs souffrances. Nous avons donc créé une association pour nous rencontrer régulièrement et nous entraider", explique le secrétaire de l’association des Congolais, Reagain Kalumba. Cette association, forte de 3 000 membres sur les quelque 6 000 Congolais vivant au Nigeria, aurait aidé entre 2000 et 2008 une cinquantaine de concitoyens à s’installer à leur compte, surtout comme commerçants. De son côté, la communauté camerounaise au Nigeria, estimée à quelque deux millions de personnes en 2005, a créé deux associations.
Les étrangers ressentent d'autant plus le besoin de s'entraider qu'ils ont parfois le sentiment que l'étau se resserre autour d'eux. Depuis juin 2010 et en principe jusqu'à fin 2011, le gouvernement recense tous ceux qui vivent sur son territoire. Une nécessité aux yeux de cet agent du ministère de l'Intérieur qui a requis l’anonymat, selon lequel ceux qui vivent dans la clandestinité depuis des années sans être inquiétés seraient plus nombreux que ceux en règle.
L’Ivoirien Yacouba, bijoutier, fait partie de ces sans-papiers jusque-là peu "tracassés" par les autorités. "Je suis dans cette situation à Lagos depuis quinze ans et je n'ai jamais eu de problèmes. Je fais mon travail et j'évite d'avoir des histoires avec mes clients. Ici, il faut bien se comporter. C'est le conseil que je peux donner à mes compatriotes qui veulent venir au Nigeria."
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