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Wednesday, January 9, 2013

AFRIQUE DE L'OUEST: Définir la piraterie dans le golfe de Guinée



En juillet 2012, le président béninois Thomas Boni Yayi avait envoyé une lettre au secrétaire général des Nations Unies pour lui faire part de ses préoccupations. Son pays était menacé par des pirates qui faisaient fuir les navires dont dépendait son économie. Il demandait le même genre d’opérations que celles menées par la communauté internationale pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie.

Sa lettre avait placé la question de la piraterie au large de l’Afrique de l’Ouest à l’ordre du jour de l’agenda international. Les attaques n’ont pas cessé depuis et se concentrent toujours aux abords du Bénin et de son voisin, le Nigeria. Pourtant, malgré des missions des Nations Unies et des débats au Conseil de sécurité, la communauté internationale n’est toujours pas sûre de la meilleure façon de procéder.

Le 6 décembre dernier, l’université de Coventry a organisé une conférence sur la sécurité maritime dans le golfe de Guinée, en collaboration avec le groupe de réflexion londonien Chatham House. Il est clairement ressorti des discussions que ce qui était appelé piraterie dans cette région était bien différent de la piraterie pratiquée au large de l’Afrique de l’Est et qu’un déploiement naval international similaire à celui mené contre les pirates somaliens risquait d’être inutile.

En réalité, selon Chris Trelawny, directeur adjoint de la Division de la sécurité maritime de l’Organisation maritime internationale (OMI), les activités pratiquées dans les eaux ouest-africaines ne sont pas vraiment de la piraterie telle que définie par les conventions internationales. « La piraterie est définie comme étant pratiquée “dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État”, soit au-delà de 12 miles marins de la côte. En deçà de ces 12 miles, il s’agit de vols à main armée à l’encontre des navires. C’est la juridiction qui fait la différence. En vertu du droit international, la piraterie est un crime et les États ont l’obligation d’intervenir. En deçà de 12 miles, cela relève de la compétence de l’État côtier. »

Sur les attaques signalées à l’OMI au cours des dix dernières années, seulement 108 ont eu lieu dans les eaux internationales, tandis que 170 ont été menées dans les eaux territoriales et 270 à l’intérieur même des ports. La majorité de ces crimes relèvent donc des juridictions nationales et, bien que les gouvernements et les systèmes judiciaires de certains États côtiers d’Afrique de l’Ouest soient relativement fragiles, ces pays ne se heurtent pas à une absence d’autorité comme en Somalie.

Peu de poursuites

Le recours aux forces navales internationales pour résoudre ce problème est inapproprié à bien d’autres égards. Les marines militaires peuvent être très efficaces pour dissuader les pirates, les mettre en fuite ou récupérer des armes et des cargaisons volées, mais elles ne sont pas prévues ni entraînées pour relever des preuves et poursuivre des criminels.

L’un des intervenants à Chatham House était Tony Attah, de Shell Nigeria. Son entreprise a été très touchée par le crime maritime : des pirates sont allés jusqu’à s’emparer des cargaisons pleins  de pétrole brut. Or, M. Attah s’est dit déçu des résultats de la Force d’intervention interarmées mandatée par le Nigeria pour lutter contre le vol de pétrole. « Nous savons que plus de 1 000 raffineries illégales ont été détruites grâce aux efforts de la marine et qu’un certain nombre de pétroliers remplis de pétrole brut volé ont été saisis lors de raids de grande ampleur, mais malgré l’attention accrue portée à ce jour à ce problème, aucun voleur n’a, à notre connaissance, été poursuivi ni condamné. Les gros trafiquants à l’origine de ces crimes sont toujours en liberté. »

Le secteur pétrolier, dont une grande partie des activités a lieu en mer, est une cible de choix pour les criminels de la région. Et selon M. Attah, il ne s’agit pas de petite délinquance. « Je peux vous dire que c’est un phénomène criminel largement financé, une industrie parallèle de plus en plus perfectionnée qui bénéficie d’une chaîne d’approvisionnement bien développée. Les criminels comptent parmi eux des ingénieurs qualifiés qui soudent des robinets sur des oléoducs à haute pression et disposent d’ateliers de construction navale. »

Le pétrole est une des raisons qui font de cette question un problème international. La région fournit environ 40 pour cent du pétrole utilisé en Europe et 29 pour cent du pétrole utilisé aux États-Unis. Il est essentiel, pour combler la demande mondiale, que ces voies maritimes restent ouvertes et sûres. Le reste du monde est prêt à apporter son aide : la marine britannique comme le Commandement des États-Unis pour l’Afrique étaient présents à la conférence. Tous deux ont proposé de former les marines d’Afrique de l’Ouest et les gardes-côtes et de développer leurs capacités.

Il est très important que ces forces nationales travaillent main dans la main, car les criminels sont très mobiles. Un intervenant a comparé la lutte contre la piraterie dans la région au fait de s’asseoir sur un ballon : si l’on appuie d’un côté, ça ressort de l’autre et si l’on appuie de l’autre, ça ressort ailleurs. Des patrouilles conjointes des marines nigérianes et béninoises ont permis de réduire les attaques dans leurs propres eaux territoriales, mais les pirates ont alors tourné leur  regard vers  le Togo et la Côte d’Ivoire.

Jusqu’à présent, aucune autre action conjointe n’a été menée. La coopération dans la région s’est par ailleurs limitée à des réunions et des séminaires organisés par des structures régionales.

Manque d’information

L’un des principaux problèmes est le manque d’information. Le Capitaine de corvette Stephen Anderson, de la marine royale britannique, dont le navire, le Dauntless, est récemment rentré d’une patrouille dans le golfe de Guinée, a illustré cette question en racontant comment il avait été surpris  de voir à quel point il était presque impossible de savoir quels navires avaient de bonnes raisons d’être là et lesquels étaient suspects.

Il semble que la région et ses alliés internationaux sont encore en train de tâter le terrain. La piraterie le long des côtes d’Afrique de l’Ouest n’a pas encore atteint le niveau de celle qui sévit au large de la Somalie, mais les intéressés craignent manifestement qu’elle prenne de l’ampleur.

La secrétaire exécutive adjointe de la Commission du golfe de Guinée, l’ambassadrice Florentina Ukonga, a lancé un appel franc à toutes les parties intéressées. « En conjuguant nos efforts de manière adaptée afin de créer un cadre juridique commun pour l’arrestation et le jugement des criminels et avec des investissements financiers suffisants et un développement des capacités, la piraterie pourrait être réduite. »

VERSION ANGLAISE

In July last year President Boni Yayi of Benin sent a worried letter to the UN secretary-general. His country was being threatened by the activities of pirates, who were scaring shipping away from the ports on which his country's revenues depend. He wanted international help of the kind which had been deployed against piracy off the coast of Somalia.

His letter put the issue of piracy off the West African coast onto the world agenda. The attacks continue and still cluster in the vicinity of Benin and its neighbour, Nigeria, but despite UN missions and a Security Council debate, the international community is still unsure of the best way to proceed.

On 6 December Coventry University organized a conference on Maritime Security in the Gulf of Guinea, in collaboration with London's Chatham House. One thing which emerged very clearly from the sessions was that what is being called piracy in this area is very different from piracy off the East African coast, and the kind of international naval deployment used against Somali pirates is unlikely to help.

In fact Chris Trelawny, deputy director of the Maritime Safety Division at the International Maritime Organization (IMO), suggested that most of what was going on in West African waters was not really piracy at all, within the meaning of the international conventions. "Piracy is defined as happening `outside the jurisdiction of any state', so outside 12 miles is piracy. If it's inside 12 miles we classify that as armed robbery against ships. The difference is jurisdiction. Piracy is a universal crime and states have an obligation to intervene. Inside 12 miles it is the coastal state's responsibility."

Of the attacks which have been reported to IMO over the past 10 years, only a minority, 108, have happened in international waters: 170 were within territorial waters and 270 actually took place in port. So these are crimes taking place within national jurisdiction, and even though some of the coastal states of West Africa have states and judicial systems which are quite weak, there is no void of authority, like that in Somalia.

Few prosecutions

Using an international naval task force to address the problem is inappropriate in other ways too. Navies can be very good at deterring pirates, or chasing them and recovering stolen weapons and cargo, but they are not designed or trained to collect evidence and process criminals for prosecution.

One of the speakers at Chatham House was Tony Attah from Shell Nigeria, a company which has suffered severely from maritime crime, sometimes losing whole cargoes of crude oil to pirates. Nigeria has a joint military task force which is now mandated to tackle oil theft but Attah is frustrated by the results. "We are aware that over 1,000 illegal refineries have been destroyed through the efforts of the navy, and a number of tankers full of stolen crude have been seized in high profile raids, but despite the increased focus to date, we are not aware of a single thief being prosecuted or convicted. The big barons behind this criminality walk free."

The oil industry, much of it offshore, is one of the main lures for maritime criminals in the area. And, says Attah, this is not petty crime. "I can tell you this is a well-financed criminal phenomenon, a parallel industry, with a well-developed supply chain and growing sophistication. It includes trained engineers who weld valves to high pressure pipelines, boatyards which construct and supply barges."

Oil is also the reason why the issue is of wider international significance. The region supplies around 40 percent of Europe's oil and 29 percent of that consumed by the USA. Keeping these shipping lanes open and safe is vital for world supply. The outside world is ready to offer some help - both the British Navy and the US Africa Command were represented at the meeting. Both have offered training and capacity building to West African navies and coast guards.

For these national forces to work together is clearly important because the criminals are so mobile. One speaker likened fighting piracy in the region to sitting on a balloon - push down on one side and it pops up at the other; push on the other side and it pops up somewhere else. Joint military patrols by the Nigerian and Beninois navies reduced attacks in their own waters, but moved the pirates' attention to Togo and Côte d'Ivoire.

So far that has been the only joint action; apart from that, regional cooperation has mostly involved meetings and seminars, held by regional bodies.

Information gap

One of the major gaps is a lack of information, highlighted at the meeting by Lt-Cmdr Stephen Anderson of the UK's Royal Navy whose ship, the Dauntless, recently returned from a patrol in the Gulf of Guinea, and who had clearly been very struck by the near impossibility of finding out which ships were meant to be there, and which were suspect vessels.

There is a sense at the moment that the region and its international allies are still feeling their way. Piracy off the west coast of Africa is not yet at the same level as that that off Somalia to the east, but there is a clear concern that it could escalate.

The deputy executive secretary of the Gulf of Guinea Commission, Ambassador Florentina Ukonga, addressed a heartfelt appeal to all those concerned. "With the right combination of efforts. to achieve a common legal framework for the arrest and prosecution of criminals, adequate financial investment and capacity building - piracy can be reduced to a bare minimum.

Sunday, January 6, 2013

Trafic de carburant au Nigéria, au Bénin et au Togo Un commerce illicite qui résiste à tout




Au Nigéria, environ 150 000 barils de pétrole sont pillés quotidiennement sur une production journalière estimée à deux millions de barils, pour nourrir le trafic illicite vers le Bénin et le Togo. Les autorités de ces trois pays prennent des mesures pour enrayer le phénomène, mais en vain. Le commerce de l’essence dans l’informel semble résister à toutes les thérapies et continue, avec force, et avec son lot de conséquences : incendies, pertes en vies humaines, profits et bavures des forces de sécurité et de lutte, pertes pour l’économie nationale, pollution de l’environnement, etc.

Des produits pétroliers, notamment l’essence, dans des bouteilles de un, deux, cinq, dix ou vingt litres, exposés sur des tables ou étagères en bois ou en métal, aux abords de presque toutes les voies, dans les villes ou sur les routes interurbaines au Bénin et au Togo. On reconnaît les postes de vente illicite de l’essence dans l’informel, soit par la pose d’un bidon vide sur lequel est marqué le prix de vente, soit par un entonnoir accroché ou une bouteille vide sur un bout de brique. Pour servir les clients, le contenu des bouteilles est versé dans le réservoir des motos ou des voitures avec des entonnoirs de fortune, à l’air libre. Les stocks de «kpayo» ou de « boudè » (Ndlr : appellation locale au Bénin et au Togo du carburant vendu illicitement), destinés à la vente sont  conservés dans des bidons, stockés dans des épaves de véhicules, dans des hangars ou sous les touffes d’herbes et les toilettes des maisons, les protégeant ainsi contre toute intervention policière, mais ceci au vu et au su de tout le monde et surtout de la police, de la gendarmerie et de la douane, de même que des autorités en charge de la lutte contre le trafic illicite du carburant.
A la frontière bénino-togolaise de Sanvee-Condji, en bordure de l’Océan Atlantique, dans le « no man’s land » frontalier, se trouve un petit village de contrebandiers de carburant. C’est là que la plupart des semi-grossistes et détaillants togolais de ce trafic se ravitaillent en produits pétroliers provenant du Bénin ou du Nigéria. A Hilla-Condji, un autre village frontalier qui s’étend des deux côtés du Benin et du Togo, ce qui frappe à première vue, ce sont les tables disposées avec des bouteilles vides ou remplies de carburant aux bords de la route nationale N°2. Malgré l’interdiction formelle des autorités togolaises, la vente du carburant frelaté reste la principale activité commerciale des habitants de cette localité. Elle est si florissante qu’elle nourrit plusieurs familles. Dans presque toutes les concessions de la localité on trouve au moins une personne qui se livre à cette contrebande. La plupart sont de jeunes chômeurs, mais aussi des élèves et des femmes. Même si beaucoup reconnaissent que le secteur n’est plus rentable aujourd’hui comme au début des années 1990, ils ne sont cependant pas prêts à l’abandonner pour rien au monde. Un père de famille togolais raconte que sa vie est dans ce commerce : « Avec cette activité j’assume l’éducation de mes trois  enfants, j’ai une maison en location et bien d’autre biens encore ». Le trafic emballe plusieurs jeunes et même  des adultes qui s’y adonnent, contre vents et marrées. Dans certaines villes du Togo comme Aného située à 60km à l’est de Lomé, le commerce illicite de carburant est la deuxième activité après le taxi moto. Le Directeur Général des hydrocarbures du Togo, Mèba Léopold SIAH estime que « la plupart des jeunes qui s’adonnent à ce commerce avancent l’argument de chômage ».
Les conditions idoines de vente de ce produit connu pour son caractère extrêmement inflammable n’étant pas réunies, il s’ensuit des cas fréquents d’incendie. En janvier 2009, un accident entre des motos tricycles transportant de l’essence frelatée, survenu en pleine circulation à Cotonou, a provoqué un incendie qui a fait quatre morts, plusieurs blessés graves et des dégâts matériels importants. Le 7 septembre 2009 à Missérété, localité située à 45km au nord-est de Cotonou, un trafiquant transportant, en plein jour, huit bidons de 50 litres remplis d’essence de contrebande a été percuté par un automobiliste. Dans sa chute, il a entrainé deux conducteurs de taxi motos. L’explosion des bidons d’essence a provoqué un incendie. Bilan : trois morts calcinés, devant des populations environnantes impuissantes et scandalisées.

Origine et évolution

Des drames de ce type sont fréquents au Bénin et au Togo, pays d’Afrique de l’ouest, voisins du Nigeria, un gros producteur de pétrole, à partir duquel s’organise le trafic frauduleux des hydrocarbures. Zinsou Hounsou, la soixantaine, revendeur illicite de carburant depuis les origines de ce commerce dans la localité d’Adjarra, commune frontalière du Nigéria et située à environ 40 km à l’est de Cotonou, explique que c’est la fin de la guerre de Biafra au Nigéria (un conflit civil qui a eu lieu du 6 juillet 1967 au 15 janvier 1970) qui marqua le début de la commercialisation illicite des produits pétroliers. En effet, fait remarquer Pascal Kossou, historien, « le gouvernement nigérian d’alors, dans le but de la satisfaction de certaines revendications sociales et pour contribuer au renforcement de la paix d’après guerre, a décidé de subventionner les produits pétroliers pour la consommation locale ». Mais, poursuit-il, « les frontières du Nigéria avec ses pays limitrophes étant pour la plupart perméables, une certaine quantité de ce carburant à prix subventionné se retrouve par la fraude dans les pays limitrophes tels que le Bénin où le litre d’essence est vendu plus cher dans les stations service ». Ainsi explique-t-il, « la ruée des consommateurs vers cette source d’approvisionnement, malgré les risques encourus, tant pour la santé, l’environnement que pour le moteur des motos et voitures servies ».
En effet, aujourd’hui le litre d’essence est officiellement vendu au Bénin à 675 FCFA (soit environ 1,35 dollar) dans les stations service, tandis que le marché informel le vend à 435 FCFA (soit environ 0,87 dollar) à Cotonou et environ. Plus on approche les localités frontalières, plus le prix du litre diminue et tend vers 400 FCFA (soit environ 0,79 dollar). Au Togo, l’essence est vendue à 595 F CFA (1,19 US$) le litre à la pompe ; au marché noir, le prix varie entre 575 FCFA (1,15 US$) et 450 FCFA (0,9 US $) au fur et à mesure que s’approche la frontière béninoise.
En fait, « c’est le prix relativement bas du litre des produits pétroliers au Nigeria qui encourage leur  trafic vers les pays limitrophes de la sous région tels que le Bénin et le Togo », estime Omoba Olanrewaju de la société « Samatex Petroleum », une firme de consultation en pétrole basée à Lagos. « Prenez par exemple le diesel qui est très consommé dans la sous région ; au moment où il coûtait  1,21 US$ le litre au Bénin, il était vendu à 0,77 dollars au Nigeria. Même le litre de l’essence qui se vend au Nigeria à 0,60 dollars le litre depuis janvier 2012, est le moins cher dans la sous région. Ce développement a donc favorisé le trafic transfrontalier de l’essence et d’autres produits pétroliers entre le Nigeria et ses voisins », précise Olanrewaju. Sagir Musa, Commandant de la force conjointe (Armée/Police) qui assure la sécurité dans la région pétrolière du delta du Niger, renchérit : « plus de 900 raffineries illégales ont été découvertes et détruites, et des dizaines d’embarcations transportant du pétrole volé arrêtées en juillet dernier ». Austine Oniwon, ancien Directeur général de la Compagnie nationale de pétrole (de mai 2010 à juin 2012) confirme que « tous ces produits sont acheminés illégalement vers les pays voisins comme le Bénin par voie maritime ou par la route à cause de la valeur supérieure de la monnaie de ces pays par rapport au naira, la monnaie locale ».

Voler et vendre le carburant, pour survivre

Plusieurs organisations non gouvernementales telles qu’Amnesty international, attribuent  cette activité illégale à la pauvreté qui sévit dans le delta du Niger, la région pétrolifère composée de sept Etats. Plus de 70% des 35 millions d’habitants de cette région seraient pauvres selon les données de l’année 2011 obtenues du bureau nigérian des statistiques et confirmées par Amnesty International. Et pourtant, la région constitue la principale zone de production du pétrole brut au Nigeria. Installées dans le pays depuis les années 1950, certaines multinationales occidentales d’extraction pétrolière, en complicité avec des hommes politiques nigérians, exploitent les gisements pétrolifères sans aucun respect de leurs engagements en faveur des populations obligées de vivre dans leurs localités polluées par les déchets pétroliers déversés par les compagnies sur des sites sauvages, mais sans infrastructures routières et sanitaires. Ainsi pour joindre les deux bouts et survivre, les habitants de la région s’adonnent aux sabotages des pipelines pour voler le pétrole. Il y a également l’installation des raffineries clandestines un peu partout dans la région du delta du Niger. Il faut aussi noter la recrudescence des pirates qui détournent les navires chargés de pétrole pour vendre le contenu dans des pays voisins.
Récemment, la police de Sango-Ota, une banlieue de l’Etat d’Ogun à 60 kilomètres de Lagos a effectué un raid contre un réseau de trafiquants d’essence. La descente musclée, fruit des informations données par les habitants de la région, a abouti à l’arrestation de dix personnes et la découverte  de deux cents bidons de 50 litres pleins d’essence. Funmilayo Oke, la seule dame parmi les suspects arrêtés, est vite passée aux aveux : « il y a des camions citernes qui viennent la nuit nous livrer  l’essence ; nous mélangeons le carburant avec des produits chimiques utilisés pour la fabrication des pommades de cheveux ; nous avons des clients qui viennent régulièrement du Bénin pour les acheter à raison de 2.000 naira (12,5 dollars) par bidon de 50 litres ; nous avons l’habitude de nous rencontrer dans une forêt d’Idiroko (un point d’entrée entre le Nigeria et le Bénin, Ndlr) »
L’approvisionnement du marché informel béninois se fait par voie terrestre et par voie maritime. Gustave Avocèvou, titulaire d’une maîtrise en lettres, ancien employé d’un importateur grossiste béninois de carburant illicite est aujourd’hui établi à son propre compte et est vendeur demi-grossiste dans la localité de Banigbé à l’est de Porto Novo (environ 40 km à l’est de Cotonou) ; il décrit le circuit d’approvisionnement en provenance du Nigeria. Selon Gustave qui détaille l’approvisionnement par voie terrestre, il existe plusieurs sources d’approvisionnement au Nigeria : il y a des exportateurs vers le Bénin qui achètent la marchandise par camions citerne dans des stations-service nigérianes ; il y en a qui s’approvisionnent frauduleusement auprès des raffineries officielles ; il y en a qui s’approvisionnent auprès des raffineries clandestines situées un peu partout sur le territoire nigérian (ces raffineries clandestines siphonnent le pétrole brut au niveau des pipelines ou exploitent carrément des puits on shore, puis raffinent le brut). Tous ces vendeurs exportateurs clandestins vers le Bénin convoient le carburant au niveau de plusieurs entrepôts situés le long de la frontière bénino-nigériane. C’est alors que les importateurs béninois envoient des camions généralement sans immatriculation (il y a des transporteurs clandestins spécialisés dans ce type de transport) prendre livraison des produits, souvent en pleine nuit, ceci par des sentiers de brousse bien connus des gendarmes et douaniers des zones frontalières qui laissent faire, puisque « intéressés » par lesdits importateurs.
Une fois le stock ramené sur le territoire béninois, il emprunte le circuit suivant jusqu’au consommateur : trafiquants importateurs – transporteurs – grossistes - semi- grossistes – détaillants – consommateurs. Lorsqu’on prend l’exemple des différents entrepôts clandestins situés à Igolo, village frontalier du Nigeria au sud Bénin, les stocks venus de la localité de « BB » au Nigeria y sont déversés pour l’essentiel. Là, l’itinéraire est le suivant : Igolo – Ifangni – Lagbè – Takon – Missérété – Porto Novo. Un autre itinéraire est le suivant : Igolo – Banigbé – Chaada – Avrankou – Porto Novo. De là, une partie du stock est acheminée sur Cotonou et d’autres villes de l’intérieur du pays par voie de terre ou fluviale, au vu et au su des brigades de lutte contre la fraude, de la douane et de la gendarmerie. Un autre itinéraire qui dessert Cotonou passe par la localité de Médédjonou, un centre de stockage dans le village de Louho (non loin de Porto Novo et en vue sur la lagune) ; de là, de grandes barques motorisées convoient la marchandise vers les débarcadères de Ladji (à Cotonou, proche de l’église Sainte Cécile située au quartier Ahouansori) ou d’Abomey Calavi. Le déstockage à ce dernier niveau sert la vente sur la route inter Etats Cotonou-Bohicon.

Approvisionnement par terre et mer

Un autre circuit par voie de terre est celui des motos tricycles conduites par des trafiquants handicapés moteur ou des taxis interurbains. Ils passent le poste frontalier de Sèmè Kraké (localité frontalière et maritime du sud) et vont s’approvisionner dans des stations-service du côté nigérian. Le réservoir spécialement agrandi pour la cause rempli, ils reviennent livrer à leurs clients détaillants du côté béninois. Ils effectuent plusieurs allers-retours journaliers. Christian Agossou, revendeur à Sèmè Kraké, confie qu’il vit de cette activité depuis plus d’une dizaine d’années. Ces sources livrent aussi à des semi grossistes qui quittent la ville nigériane de Badagry, traversent la frontière, embarquent sur des pirogues qui passent par le fleuve Ouémé (dont un bras passe dans la zone) jusqu’à la lagune de Porto Novo avant la livraison à des détaillants.
Les usagers de la route inter Etats Cotonou-Malanville (ville béninoise frontalière du Niger) sont aussi servis en carburant par le marché informel. Le circuit d’importation et de distribution est pratiquement le même le long de toute la frontière jusqu’au nord Bénin. Issaou Amadou, est détaillant au bord de la grande voie à Toui, localité située à 300 km environ au nord de Cotonou. « Presque nous tous, les jeunes de ce village, vivons pratiquement de cette activité de commerce d’essence car l’agriculture est trop dure et nous n’avons pas de machines agricoles », confie-t-il. Kègnidé Allagbé rencontré à Savé, commune frontalière du Nigeria, située à 350 km environ au nord de Cotonou dans le centre Bénin, fait ce commerce depuis plus d’une quinzaine d’années. Il avance, avec flegme, qu’il ravitaille gratis un des « éléments » des forces de sécurité de la zone et ainsi, il n’est pas inquiété, depuis son approvisionnement à la frontière, jusqu’à la vente au détail au bord de la voie inter Etats, en passant par son entrepôt de vente. Le trafic se fait aussi, à pied ou à vélo, par les paysans de la ligne frontalière Bénin-Nigéria.
L’autre grande source d’approvisionnement est la voie maritime. Là, ce sont des bateaux appartenant à des armateurs nigérians qui détournent en mer de l’essence raffinée au Nigeria et destinée à l’exportation et la vendent à des grossistes béninois ou togolais qui vont s’approvisionner avec des grandes barques motorisées remplies de fûts de 200 litres. Au Bénin, la cargaison arrive à passer les frontières maritimes pour être débarquée sur les berges de la lagune de Cotonou ou à des débarcadères situés à Abomey Calavi, pour nourrir le circuit de l’informel. « Les trafiquants qui s’approvisionnent à cette source maritime subissent parfois les assauts des gardes côtes nigérians qui les rançonnent ou qui saisissent parfois les embarcations déjà remplies », explique un gros importateur par voie maritime résidant dans la localité d’Akpakpa à Cotonou qui a requis l’anonymat.

Une affaire de gros sous

Selon le rapport d’une enquête faite sur le commerce illicite du carburant en décembre 2005 par « Action Sociale » (une Organisation non gouvernementale béninoise), environ 80% des consommateurs s’approvisionnent dans le marché informel. Selon le communiqué du compte rendu du Conseil des Ministres du Bénin réuni en séance extraordinaire sur le sujet de ce trafic le vendredi 2 novembre 2012, il y a une « prédominance du marché informel qui alimente plus de 90% du secteur pétrolier ». Claude Allagbé, Directeur Général de la Promotion du Commerce intérieur (du ministère béninois du commerce) estime que « l’essence vendue dans le secteur informel représente au moins sept fois le niveau de vente dans les stations-service régulièrement agréées». Prenant en compte le chiffre des ventes desdites stations agréées (selon les statistiques du ministère béninois du commerce) estimé à environ 2,5 millions de litres par mois, Claude Allagbé estime qu’ « il est introduit frauduleusement par mois sur le territoire béninois plus de 17 millions de litres de carburant, soit plus de 200 millions de litres par an ».
Si le trafic illicite continue, c’est parce que ses acteurs prospèrent d’une part et les autorités en charge de la lutte ont baissé les armes, par passivité, ou par complicité d’autre part. En effet, selon le rapport ci-dessus cité d’une enquête faite par l’Ong béninoise « Action Sociale » en décembre 2005 sur le commerce illicite du carburant, un semi grossiste vend en moyenne 1100 litres par jour, avec une marge bénéficiaire journalière de 25.800 FCFA, soit environ 52 dollars par jour ; tandis qu’un détaillant vend environ 400 litres par jour, avec une marge bénéficiaire journalière de 2500 FCFA, soit environ 5 dollars par jour. Par ailleurs, si l’on considère les estimations officielles qui présentent le marché informel béninois comme occupant 80 à 90% de la consommation, la quantité du carburant vendu frauduleusement sur le territoire béninois varie alors entre 200 et 300 millions de litres par an. Si l’on prend en compte le prix moyen de cession du litre au consommateur, le chiffre d’affaires annuel de la vente illicite au Bénin avoisinerait alors les 150 milliards de FCFA, soit environ 300 millions de dollars US.
Au Togo, comme au Bénin d’ailleurs, la baisse drastique de la vente de carburant dans les stations d’essence légales en est une très remarquable. En matière de manque à gagner, cette vente illégale occasionne aux pétroliers agréés, plus de 60 milliards de FCFA (soit environ 120 millions de dollars US) au cours de 2011, indique une source proche de Société togolaise d’entreposage (STE). Cette  contrebande du carburant a fait également chuter les recettes douanières et crée du chômage lié à la baisse de vente à la pompe. En effet, le poste de Douane installé au niveau de la raffinerie de Lomé dont les recettes avoisinent 4 milliards de FCFA (soit 8 millions US$) par mois enregistre une baisse exponentielle. Au cours du mois d’octobre 2012, la baisse fut estimée à près de 900 millions de FCFA (soit 1,8 millions US$).
On constate qu’il s’agit là d’une affaire de gros sous et on peut comprendre alors le peu d’empressement, la faiblesse apparente et la lenteur qui caractérisent la lutte contre le phénomène depuis des années. Gustave Avocèvou explique à ce propos que son ancien patron, un des gros importateurs, ravitaillait même des véhicules de police, de douane et de gendarmerie qui venaient nuitamment dans son entrepôt. Il fait même remarquer que les agents de douane perçoivent des passe-droits pour laisser passer des marchandises. Les tentatives pour faire confirmer cette affirmation par les gendarmes ou douaniers des postes frontaliers Bénin-Nigéria sont restées vaines. Mais un agent des douanes de Igolo a confié, sous anonymat, pourquoi et comment lui et ses collègues ne se gênent plus contre cette fraude : « quand nous arrêtons une marchandise introduite par fraude sur le territoire béninois, nous avons un pourcentage sur la valeur de la fraude et des pénalités ; mais puisque le carburant est un produit interdit d’importation par cette voie, il est difficile d’appliquer les textes en vigueur et nous n’avons alors aucun intérêt à traquer les contrebandiers ». Cela explique certainement le fait que les quelques rares prises de stocks de carburant illégalement introduits sur le territoire béninois, prises opérées par la Commission nationale d’assainissement des marchés intérieurs des produits pétroliers (CONAMIP)  ne sont pas vendues comme d’autres marchandises arrêtées, mais plutôt affectées aux besoins de certaines unités de police ou de gendarmerie. Claude Allagbé, Directeur Général de la Promotion du Commerce intérieur semble confirmer cette thèse lorsqu’il reconnaît que « les textes de lois sur la répression de la fraude en matière de produits pétroliers, déjà assez répressifs, nécessitent quand même un toilettage pour les adapter aux besoins actuels de la lutte contre la fraude ».

La douane « ne voit rien »

Cet agent des douanes qui a requis l’anonymat conclut alors en faisant remarquer qu’il est profitable pour ses collègues et lui de « négocier » avec les contrebandiers mais seulement à leur propre profit et non au profit des caisses de l’Etat. Bien entendu, il ajoute que « la recette des négociations avec les trafiquants monte jusqu’en haut, au niveau des chefs ». Dans tous les cas, « les gros trafiquants importateurs et grossistes sont connus ; ils sont seulement une dizaine mais ne sont pas inquiétés car protégés par les politiques », regrette un agent de la Sonacop (Société Nationale de Commercialisation de Produits Pétroliers du Bénin) dont l’entreprise ploie sous les effets négatifs de ce trafic. En effet, un des « patrons » de ce trafic fut élu député sur la liste d’un des plus grands partis du pays (aujourd’hui dans l’opposition) et dont le fief est dans la région sud est du Bénin lors des 3e et 4e législatures. C’est d’ailleurs cette région qui est la zone tampon par laquelle se mène en grande partie le trafic. Toujours dans cette région, la majorité présidentielle actuelle a présenté sur une de ses listes lors des élections législatives de 2011 un autre gros trafiquant. Ce dernier a manqué de justesse (de quelques dizaines de suffrages seulement) de se faire élire député. J.N., un des cousins de Gustave Avocèvou qui est collaborateur d’un autre gros trafiquant raconte que « certaines des fois où le prix de vente au détail grimpe dans l’informel au Bénin, sans qu’il y ait une augmentation du prix à la pompe au Nigeria, c’est parce qu’une marge est collectée en quelques jours et reversée aux autorités qui protègent le trafic ».
Les trafiquants sont donc couverts. Ils sont aussi protégés par les populations qui leur expriment leur soutien lors des joutes électorales. En effet, ces « délinquants » de la fraude pétrolière sont aussi dans l’action sociale. Ils construisent des écoles et centres de santé, contribuent à payer des frais d’écolage des enfants de leur localité, participent à la réfection de pistes de desserte rurale, octroient des microcrédits aux plus pauvres pour des activités génératrices de revenus, etc. En somme, un investissement dans le social, pour se couvrir. Ceci explique peut-être en partie l’échec des différentes luttes effectuées jusque-là. En effet, la lutte contre le commerce de l’essence frelatée s’est renforcée par la tentative de la Conamip où les opérations de contrôle et de suppression de ce commerce ont dégénéré en émeute le 18 août 2004 à Porto Novo. La maison du ministre du commerce d’alors Fatiou Akplogan a failli être brûlée. La Conamip, au lieu de poursuivre le contrôle, a commencé par faire des actions de sensibilisation à travers des spots sur les chaînes de télévision et de radio sur les différents dégâts liés à cette activité.
A l’avènement du gouvernement de Boni Yayi en 2006, des mesures fiscales ont été prises pour réduire le prix du carburant au plus bas possible ; mais le problème demeure. Cependant le gouvernement n’a pas baissé les bras, il a pris des mesures d’allégement fiscales sur les importations des matériels de construction des petites stations service. Mais certains promoteurs ont déjà fermé purement et simplement ; d’autres ont renoncé à tout projet d’extension de leur réseau ; d’autres encore, bien qu’ayant reçu l’agrément depuis des années, ont renoncé à s’installer, par peur de la mévente. Les opérateurs agréés ne sentent plus disposés à prendre des risques tant que les pouvoirs publics ne prendront pas des mesures hardies pour lutter efficacement contre la vente illicite des produis pétroliers qui a reconquis les trottoirs et les abords des rues depuis que l’Etat donne l’impression d’avoir baissé les bras face à la forte pression des lobbies du Kpayo. En effet, au Bénin, la plupart des « stations-trottoir » ou « pompes-trottoir » ne fonctionnent plus depuis plus d’un an.

Réalisme et impuissance des autorités

En février 2012, le Président Boni Yayi a tenu au palais de la Présidence de la République une rencontre avec les associations de consommateurs. A cette occasion, la question de la lutte contre le Kpayo a été soulevée à nouveau ; mais en vain. La solution efficace n’y a toujours pas été trouvée. On peut noter que le Chef de l’Etat béninois qui avait fait de cette lutte un de ses chevaux de bataille a dû décélérer. En tant qu’homme politique, il lui est certainement apparu compliqué d’arrêter une activité qui emploie environ 50.000 personnes (selon des estimations des associations de consommateurs) et qui nourrit environ cinq fois plus de bouches. Des observations et entretiens faits sur place dans les régions où elle se mène, il ressort que cette activité illicite recueille surtout les diplômés sans emploi, les producteurs agricoles découragés, les artisans sans soutien, etc. Elle participe ainsi à la réduction du taux de chômage (tant chez les adultes que chez les jeunes), de la délinquance, de l’insécurité, etc. Un regard sur les postes de vente, une bonne observation des acteurs permettent de constater que les principaux acteurs de ce commerce utilisent surtout de la main-d’œuvre constituée en majeure partie d’enfants et de jeunes déscolarisés. Ces derniers s’installent également très tôt à leur propre compte. On comprend donc aisément que cette activité permet aux sans activités d’éviter l'oisiveté et de pouvoir faire face aux dépenses de première nécessité. Ce qui leur permet ainsi de ne pas sombrer dans les pièges des vices. Le commerce de l’essence frelatée a permis la naissance et le développement de certaines activités : les artisans-fabricants de tricycles (un engin qui permet aux handicapés de pouvoir faire le trafic illicite de l’essence frelatée), les transporteurs, etc.

Le trafic du carburant qui résiste à toutes les thérapies

La loi togolaise N°66-22 du 23 décembre 1966 portant Code des Douanes en son article 23 dispose que « sont identifiées comme prohibées, toutes marchandises dont l’importation ou l’exportation est… soumise, à des restrictions, à des règles  de qualité ou de conditionnement ou à des formalités particulières ». Le carburant frelaté fait partie de ces marchandises prohibées. Ainsi, se basant sur ce texte réglementaire, les douaniers et les autres corps mettent en œuvre des moyens pour lutter contre son  commerce. Le 25 Mars 2009, le ministre de la sécurité et de la protection civile d’alors, le Colonel Atcha Mohamed TITIKPINA, en vue  de combattre ce fléau, a mis  en place  le dispositif  opérationnel baptisé « OPERATION ENTONNOIR »  à l’issue d’une réunion qui a regroupé autour de lui, son collègue du commerce, les autorités de la Police nationale, de la gendarmerie nationale, de la Marine nationale, de l’Armée de terre, de la Douane et des différents partenaires que sont les pétroliers et les cadres des ministères du commerce, des finances et de  la sécurité. Dans le cadre de la lutte contre ce trafic illicite, les différentes unités des Forces de sécurité ont reçu des missions spécifiques. La Police nationale est chargée de la répression du trafic dans les zones urbaines. Elle a mis en place une équipe fixe à la Société togolaise d’entreposage (STE) en vue de la surveillance du chargement et du contrôle de la destination des produits pétroliers. La Gendarmerie nationale en ce qui la concerne, est chargée de réprimer le trafic dans les zones rurales, urbaines et sur la façade maritime, en appui à la Marine nationale qui, elle, est chargée de la répression dans l’espace maritime. L’Armée de terre lutte contre le trafic sur les frontières terrestres. La dernière unité, la Douane, prend en compte la répression du trafic sur les divers points d’entrée et dans  le cadre des « check-point » en tout lieu du territoire togolais. La coordination  de cette opération est constituée d’un officier de chacune des unités ci-dessus citées.
Faute de moyens matériels et financiers, cette opération était entretemps mise en veilleuse. Mais en octobre 2010, les ministres Atcha Titikpina de la sécurité et Kokou Gozan du commerce ont réactivé cette opération, non seulement à cause de l’ampleur que prenait ce trafic mais  aussi et  surtout des dégâts matériels et humains qu’occasionnaient des incendies liés au carburant stocké illicitement. En effet, les services de sécurité ont enregistré depuis le lancement de l’opération « ENTONNOIR » au moins 15 cas d’incendies ayant causé des dizaines de morts et plus de 67 victimes grièvement blessées. En 2011, la Brigade nationale d’intervention et de recherche (BNIR), une structure douanière, a enregistré dans le cadre de la lutte contre le trafic illicite 703.305 litres de carburant (essence et gaz oil). A la date du 12 novembre 2012, le total des produits pétroliers saisi est de 330.264 litres. Mais ces chiffres qui sont le fruit de la lutte menée conjointement par la douane, la police, la gendarmerie, la marine et les Forces armées togolaises (FAT) sont  bien loin de la réalité. Selon le Chef de la BNIR, Agoro MEDJESSIRIBI, « ces quantités de carburant saisi sont infimes par rapport au flux de carburant frelaté observé sur le marché. Ces quantités représentent entre le cinquième et le dixième de ce qui circule en réalité ».  Un chiffre global concernant les saisies de l’année 2012 n’est pas connu mais une comparaison rapide entre ces deux chiffres montre que le total de 2012 pourrait être inférieur à celui de 2011. Ceci prouve que la lutte n’est toujours pas efficace et que les trafiquants usent des stratégies qui ne sont pas toujours détectées par les forces impliquées dans cette lutte. Il urge alors, selon de Directeur général des hydrocarbures Mèba Léopold SIAH, d’accentuer la lutte.
Le 30 Août 2012, le ministre de l’Economie et des Finances du Togo, Adji Otèth AYASSOR a publié un communiqué dans lequel il rappelait à la population l’interdiction formelle d’importer en contrebande des produits  pétroliers, de stocker  et de vendre lesdits produits  dans les lieux d’habitation  et autres  endroits non agréés. Le même communiqué faisait mention d’un numéro téléphonique « 22 23 00 00 » qui est mis à la disposition du public pour dénoncer ceux qui se livrent à ce commerce illicite et dangereux. Fin octobre 2012, le ministre de la sécurité et de la protection civile, Yark Damehame s’est déplacé pour aller rencontrer son homologue ghanéen et discuter des voies et moyens à mettre en œuvre pour éradiquer le fléau que constitue le commerce illicite du carburant frelaté. Il y a quelques jours, le Chef de l’Etat togolais, Faure Gnassingbé, a demandé aux autorités douanières de lui fournir des statistiques sur  les saisies opérées et voir comment susciter un débat national sur ce commerce qui emballe de plus en plus de personnes tout comme le phénomène de taxis-motos.
Par ailleurs, des saisies  sont opérées tous les jours. Mais cela ne semble pas freiner l’élan des acteurs de ce trafic. Le 19 Octobre 2011, une opération de saisie de carburant frelaté a été menée à Agbodrafo (localité située à 25 km à l’est de Lomé) par  la Police. Durant cette opération, un vendeur a été blessé par balles ; un communiqué de la police a fait état de ce que les tirs étaient un moyen de dissuasion lors de l’opération. Le 29 octobre 2012, une course poursuite entre un motocycliste qui transportait deux bidons de carburant et les agents de la douane a tourné au drame lorsqu’un agent (également à moto) a asséné un coup au conducteur. Ce dernier dans sa chute a percuté un autre motocycliste. Le choc étant dur, il est décédé sur-le-champ. La population d’Adidogomé, (banlieue Ouest de Lomé) s’est soulevée pour protester contre cet acte du douanier. Des pneus ont été brûlés et érigés des barricades sur la nationale N°3; des forces de l’ordre alertées sont intervenues pour disperser les manifestants à coup de gaz lacrymogènes. Malgré tout cela, le commerce continue, même dans la capitale Lomé.
Dans tous les cas, les trafiquants, avec tout le « réseau » qu’ils ont mis en place, continuent d’écouler leurs produits sur le marché béninois, en toute impunité. Une certaine quantité est même destinée au marché des pays limitrophes du Bénin, malgré les mesures « officielles » prises. C’est ainsi que le Comité mis sur pied par le gouvernement béninois dans le cadre de la gestion de l’impact de la crise pétrolière de janvier 2012 au Nigéria a, dans la nuit du dimanche 22 au lundi 23 janvier 2012, opéré des saisies vers la plage de Jacquot à Cotonou et dans la localité de Pahou à 20 km à l’ouest de Cotonou. 1521 bidons de 25 litres d’essence frelatée, le tout estimé à environ 22 millions de FCFA : c’est la moisson de l’opération. Deux camions qui convoyaient les bidons ont échoué à la Compagnie de gendarmerie de Cotonou. Ces camions en provenance du Nigeria devraient être convoyés vers les départements du Mono et du Couffo, plus précisément à la frontière de Hillacondji, pour aller au Togo.

 Les défaillances et les limites de la lutte

A l’intérieur du pays, au Bénin comme au Togo, il y a un manque de stations-service. On peut observer en effet, sur une distance de 100 à 150 km en longeant la nationale N°1 qui quitte Lomé vers l’intérieur du pays, l’absence de stations-service. Il en est de même au Bénin. Les usagers d’engins qui se sentent dans le besoin sur ces tronçons sont obligés de recourir aux détaillants qui exposent leurs produits aux abords de la voie. Les localités comme Notsè, Kambolé, Niamtougou qui sont proches de la frontière béninoise à l’Est  ou  encore  Noépé, Kpadapé qui le  sont elles de la frontière ghanéenne et où les stations service sont rares, même les autorités locales n’ont pas le choix : elles sont ravitaillées par les trafiquants. Un officier de Gendarmerie en poste à Notsè (ville située à environ 80 km au Nord de Lomé) qui a requis l’anonymat déclare que la répression des commerçants illicite de carburant serait difficile : «Comment pouvons-nous réprimer ceux qui nous servent chaque jour du carburant ?  Nous savons que c’est un produit prohibé mais comme il n’y a pas de stations service, nous n’avons pas d’autre choix ».  Dans certaines localités togolaises, le trafic est autorisé de façon tacite. C’est ainsi que des agents de police, de Gendarmerie ou encore de Douane font le tour  la nuit pour « prendre leur part » du chiffre d’affaires de la journée ou de la semaine chez les trafiquants. Au Nigeria, source du mal, dans le but de mettre un terme à ce trafic illicite, Olusegun Obasanjo, l’ancien président (1999-2007), avait révisé sept fois à la hausse le prix à la pompe de l’essence. Ainsi, le prix du litre est passé de 20 nairas (0,12 dollars) à 30 nairas (0,18 dollars) le 1er juin 2000, date de la première augmentation sous le régime Obasanjo ; puis à 70 nairas (0,43 dollars)  le 27 mai 2007, à deux jours de son départ du pouvoir. Mais en vain….
En effet, l’augmentation du prix de l’essence à la pompe n’est pas la solution. Les produits trafiqués ne sont pas achetés pour l’essentiel dans les stations service ; ils sont plutôt volés. Donc, « augmenter mille fois le prix ne va rien changer » martèle Kingsley Okafor, Economiste, propriétaire d’un cabinet de comptabilité à Lagos. Cependant, un soldat qui a servi dans la région du delta du Niger et qui a requis l’anonymat estime qu’il sera très difficile de mettre un terme au vol de carburant dans la région pétrolière puisque, selon lui, les soldats sont complices. Il explique que « tous les soldats qui sont affectés dans la région pétrolière sont aujourd’hui des millionnaires ; les navires viennent la nuit pour faire le plein à raison de 15 ou 20 dollars par baril, le reste est vendu sur place dans les stations-service  à vil prix ou à des particuliers qui vont le vendre ailleurs »
Face à la hausse sans précédent des activités de détournement illégal de pétrole dans la région côtière du Nigéria, le 3 novembre 2011, la Chambre basse du Parlement a constitué deux comités pour enquêter sur ce fléau dans la région pétrolifère du delta du Niger. Les deux comités ont la mission d’identifier les voleurs, les propriétaires de navires transportant le brut ainsi que les acheteurs de ces cargaisons sur le marché international. Ils ont aussi été chargés d'établir le rôle joué par les forces de sécurité dans ce trafic. Selon Daniel Reyenieju, le député qui a présenté la motion, des personnalités influentes  du pays ainsi que l'Armée ont été accusées d'être impliquées dans ce trafic illicite. En attendant les conclusions  de cette enquête, le gouvernement du Président Goodluck Jonathan essaie de prendre certaines mesures pour réduire le fléau. Le gouvernement nigérian a reçu le 8 septembre 2012 la livraison de dix nouveaux navires patrouilleurs pour combattre les pirates en mer. Il envisage également des patrouilles aériennes pour protéger les frontières entre le Nigeria et ses voisins.

Conséquences négatives

Au-delà des risques d’incendies, il y a les risques de maladies auxquels sont exposés constamment les acteurs de la commercialisation de l’essence illicite. Certains acteurs de ce commerce interrogés reconnaissent qu’ils souffrent surtout des maladies respiratoires, de l’hernie, des maux de ventre et d’yeux ainsi que d’autres maladies ordinaires (paludisme, fatigue, vertige, etc.). L’utilisation exagérée du carburant frelaté n’est pas sans conséquences sur l’environnement aussi. Pour Kodjo Fabrice Ebeh, Directeur Exécutif de l’ONG ANCE (Alliance nationale des consommateurs et de l’environnement) du Togo, des conséquences environnementales et sanitaires désastreuses relatives à la commercialisation anarchique du carburant sont à redouter au Togo, au Bénin et au Nigeria : le dégagement des gaz à effets de serre, le réchauffement climatique, les pneumonies graves voire le cancer sont à craindre.
Par ailleurs, le budget de l’Etat béninois étant essentiellement fiscal puisque basé sur les prélèvements des impôts, surtout sur les importations, il en résulte une grande perte pour le Trésor public. De guerre lasse, le gouvernement béninois a reconnu le vendredi 2 novembre 2012 dans le communiqué du Conseil extraordinaire des Ministres que « face depuis quelques années à une concurrence déloyale implacable marquée par la prédominance du marché informel qui alimente plus de 90% du secteur pétrolier, entamant sérieusement l’activité des entreprises du secteur formel, beaucoup de multinationales agréées ont quitté le Bénin tandis que la Sonacop survit…» et a décidé de « renforcer et de dynamiser le Comité de Lutte contre le Commerce illicite de Produits Pétroliers ».


Enquête réalisée par
Brice HOUSSOU (Bénin),
Jean-Baptiste ATTISSO (Togo)
et Daouda  ALIYOU (Nigeria)
Avec l’appui de l’association danoise des journalistes d’enquête sur financement de IMS

(Septembre – Octobre 2012)