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Monday, September 12, 2011

NIGERIA : UN PAYS DANS LE NOIR

Par Daouda Aliyou

Sixième producteur mondial de pétrole avec plus de 150 millions d’habitants, le Nigeria produit moins de 4 000 mégawatts d’électricité par jour. Une situation absurde qui plonge non seulement le pays dans le noir, mais plombe également son économie

«Je suis soudeur de formation mais faute d’électricité, je ne peux pas travailler.Et comme j’ai une famille à nourrir, j’ai cédé à la tentation de voler», explique avec émotion Emeka Anayo devant le juge du tribunal d’Ebute Metta à Lagos, lorsqu’il comparait, en février dernier, pour vol à main armée. Les propos d’Emeka résument la condition de la plupart des travailleurs nigérians qui se sont retrouvés au chômage suite à l’arrêt des activités de plusieurs compagnies pour insuffisance d’électricité. Le caractère aléatoire de la distribution de l’énergie électrique au Nigeria est si grave qu’il freine des investisseurs étrangers. En dépit des milliards de dollars injectés dans ce secteur depuis 1999, les Nigérians broient toujours du noir…

Black out

Le Nigeria qui produisait environ 40 000 mégawatts d’électricité par jour au lendemain de son indépendance en 1960 n’en produit que 3 500 aujourd’hui. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette chute. Les centrales électriques construites entre 1963 et 1991 ont fait l’objet de négligence par les différentes administrations pendant plusieurs années ainsi que les barrages thermiques qui fonctionnent tous en dessous de leur capacité. Même constat du côté des stations thermiques qui, en principe, devraient être révisées tous les quatre à six ans. Mais la société nationale d’électricité n’a jamais respecté le programme de maintenance de ces machines. Ses responsables plaident le manque de fonds. Selon eux, le budget alloué chaque année par les différents gouvernements est insignifiant. La situation a même empiré sous l’ère des militaires qui ont passé 25 ans au pouvoir, dont 16 d’affilée. Il est à rappeler que le Nigeria a connu six coups d’Etat. Même le retour du pouvoir aux civils en 1999 n’a rien changé à la situation. Lorsque le président Olusegun Obasanjo a pris les commandes, un budget spécial a été voté pour acheter les pièces de rechange. En huit ans, le gouvernement d’Obasanjo a englouti quelques 13 milliards de dollars dans le secteur énergétique. Sans résultat! Cette somme a terminé sa course dans les poches des proches de l’ancien président Olusegun Obasanjo, qui étaient chargés de mettre ces centrales en état. Conséquence: Sur les treize centrales, seules trois fonctionnent. Mais en dessous de leur capacité. Ainsi l’électricité est-elle devenue une denrée très rare. En 2007, feu Umaru Musa Yar’Adua avait promis aux Nigérians une production journalière de 6 000 mégawatts d’électricité en décembre de la même année. Les 5 millions de dollars investis dans le secteur n’ont eu aucun effet. Et il est mort en mai 2010 sans pouvoir tenir sa promesse.


Corruption comme obstacle

Au regard des milliards de dollars engloutis dans le secteur énergétique entre 1999 et 2010, les experts s’accordent sur le fait que le plus grand problème de la Société nationale de l’électricité (PHCN) est la corruption accrue qui la gangrène. La situation devient de plus en plus compliquée. Raison? La crise énergétique a donné naissance au cartel des importateurs et vendeurs de groupes électrogènes. Un marché en plein essor au Nigeria. Il a été prouvé que des membres de ce cartel remettent des chèques aux montants exorbitants aux différents directeurs de la Société nationale d’électricité à travers le pays, afin que ces derniers négligent davantage les infrastructures et permettent à leur marché de prospérer. Pire, ce cartel, craint par le pouvoir central, fait partie des intouchables de la société. C’est pourquoi l’on se demande si le Nigeria pourra un jour résoudre son problème d’électricité. C’est pourtant la population qui paie les pots cassés et, par ricochet, l’économie nationale. Aujourd’hui, le groupe électrogène est devenu la principale source de fourniture de courant au Nigeria et neuf Nigérians sur dix en possèdent au moins un. Cet engin qui était l’apanage des fortunés est maintenant à la portée du Nigérian moyen. La qualité inférieure est montée sur place avec tous lesrisques que cela comporte. Entre 2008 et 2010, le groupe électrogène a tué près de 100 personnes. Si ne n’est pas une famille entière qui meurt asphyxiée dans une chambre pour avoir inspiré l’oxyde de carbone qui se dégage du groupe électrogène, c’est plutôt l’engin qui prend feu, incendiant des maisons d’habitation. Des incidents qui sont aujourd’hui monnaie courante au Nigeria. N’empêche que le groupe électrogène constitue un mal nécessaire, y compris pour les industries.

Les compagnies ferment

Une société moyenne utilise 20 000 litres de diesel par jour. Avec le litre du diesel qui coûte 148 nairas soit un peu moins d’un dollar, la société doit décaisser 20 000 dollars en sept jours pour faire fonctionner les groupes électrogènes 24 heures sur 24. Les sociétés qui ne peuvent supporter ce fardeau ont cessé leurs activités, d’autres ont réduit leur masse salariale. Selon le rapport 2010 de l’Association des fabricants du Nigeria (MAN), 834 compagnies ont mis la clé sous le paillasson l’année écoulée. Il ressort de ce rapport que 176 compagnies ont fermé au Nord du pays, 178 au Sud-est, 46 au Sud et 225 sociétés dans le Sud-ouest. Pour l’Association nationale des fabricants, «tant que le gouvernement ne trouve pas de solution à la crise de l’électricité, lesconsommateurs continueront de payer les pots cassés et le Nigeria ne pourra pas faire face à la concurrence sur le marché de l’export». La situation constitue déjà un manque à gagner énorme pour l’économie nationale. Et pour cause! Plusieurs compagnies nigérianes se sont installées au Ghana. Le gouvernement ghanéen, pour décourager
l’afflux de ces industries, a imposé une taxe annuelle de 300 000 dollars à chaque société. Le président nigérian, à la demande de la communauté nigériane au Ghana, a envoyé des émissaires auprès de son homologue ghanéen pour la réduction de cette taxe jugée très exorbitante. Les pourparlers sont en cours.

Mettre fin à la crise de l’électricité

«Je vais mettre fin à la crise de l’électricité en douze mois si vous votez pour moi!» Telle est la promesse «électrique» que le président Goodluck Jonathan a faite à la population lors de ses 40 jours de campagne électorale, qui l’ont conduit dans les 36 Etats de la fédération. Avant son élection le 16 avril dernier, il avait déjà élaboré une feuille de route visant à réhabiliter le secteur électrique. Ce projet, qui coûtera 500 millions de dollars, consistera en la construction de nouvelles centrales. Mais contre toute attente, au lendemain de sa victoire à la présidence, le président change de fusil d’épaule et envisage de privatiser la société nationale de l’électricité (PHCN). Le gouvernement nigérian est déjà en négociation avec des hommes d’affaires indiens dans ce sens. Une décision à laquelle s’opposent les travailleurs de la PHCN qui menacent d’observer une grève illimitée qui plongera le Nigeria dans le noir en juin, si le président Goodluck Jonathan ne revient pas sur sa décision de privatiser la compagnie nationale d’électricité qui, selon eux, constitue un patrimoine national à préserver jalousement.