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Tuesday, November 23, 2010

NIGERIA : Les guides religieux prêchent pour la richesse

Les très nombreuses Eglises évangéliques et organisations religieuses du Nigeria, privées de diffusion télévisée depuis 2004, attirent aujourd'hui les fidèles en les aidant à créer des activités économiques ou en les employant dans leurs entreprises. Une stratégie qui rapporte à tous.

À qui lui demande le secret de sa réussite, le Nigérian Jerry Nwachuku répond sans hésiter : "À mon Église, Christ Embassy". En juillet dernier, ce chrétien évangélique, tailleur de profession, a reçu de son Église un crédit de 300 000 nairas (1830 €) remboursable sur dix-huit mois, afin d’ouvrir un atelier de couture. "C’était au cours d’une séance de prêts sans intérêt aux fidèles désireux de monter leurs propres affaires, continue-t-il, enthousiaste. Cinq mois après, ça roule bien pour moi et ma foi en est fortifiée !" Jelilat Rasheed, une musulmane, handicapée physique, affiche la même satisfaction. Grâce à l’organisation islamique Nasir-Ulahi-Il-fathi Society of Nigeria (Nasfat), cette ancienne mendiante à Lagos, la métropole économique, est devenue, depuis un peu plus d’un an, une vendeuse de Nasmalt, une boisson non alcoolisée produite par Nasfat. "Aujourd’hui, je gagne assez d’argent pour subvenir à mes besoins", se réjouit-elle.
Comme eux, nombreux sont les chrétiens et les musulmans nigérians à apprécier l’amélioration de leurs conditions de vie grâce au soutien de leur Église ou confrérie religieuse. Ces témoignages élogieux s’expliquent par la nouvelle stratégie mise au point par différentes confessions, notamment les milliers de sectes et Églises évangéliques, pour garder leurs fidèles et en recruter de nouveaux.

"La pauvreté est un péché"

Jusqu’en 2004, la plupart d'entre elles payaient les chaînes de télévision pour retransmettre leurs séances populaires de prêches et de miracles. Très efficaces, ces émissions attiraient les foules. Dans ce pays de 150 millions d’habitants, le plus peuplé d’Afrique, avec un taux de chômage supérieur à 40 % selon la Nigeria Directorate of Employment (Nde), l’agence de l’emploi, les gens, nombreux à vivre avec moins d’un dollar par jour, sont sensibles aux promesses d’une vie éternelle et de guérison miraculeuse. Mais les dérives (escroqueries massives au profit des pasteurs, prostitution, envoûtements…) trop fréquentes ont, en 2004, poussé le gouvernement fédéral à suspendre la diffusion télévisée des prédications et des séances de miracles et à n’autoriser que la retransmission des émissions religieuses éducatives.
Du coup, les pasteurs et gourous, dont plusieurs sont de "super riches" selon le sociologue Faith Oluwaremilekun Kajola, ont changé de stratégie. "Accusés de s’enrichir sur le dos des fidèles, ils ont décidé de prouver le contraire en aidant leurs fidèles à prospérer", analyse Agunbiade Olorungbebe, psychologue. Bien conscient aussi qu'en augmentant leurs revenus, ils accroissent aussi les leurs…
Ainsi, dans ses sermons, Enoch Adeboye, chef du The Redeemed Christian Church of God (Rccg), encourage ses fidèles à "avoir le sens des affaires". David Oyedepo, du Living Faith Church Worldwide alias Winners Chapel, assène : "La pauvreté est un péché, voire une malédiction qu’on doit rejeter". Les Églises multiplient ainsi les séminaires de formation sur la gestion et la création d’entreprises. "En février dernier, j’ai assisté à un de ces ateliers, témoigne le photographe Messiah Ngozi, du Truth Foundation Pentecostal Church. J’en ai tiré des idées qui m’ont permis de mettre en place en juin un studio moderne qui emploie cinq agents."

‘’Il y a maintenant de l’ordre et du sérieux…’’

Les Églises investissent aussi dans la création d’entreprises, une autre manière de gagner de l'argent. Winners Chapel, qui détient 500 ha à Otta (60 kilomètres de Lagos), dispose actuellement de diverses structures - université, restaurants, imprimerie, etc. - qu’animent plus de 1 300 employés, tous ses adeptes. Quant à Rccg, elle a créé en 2005 Dove Media, une agence de communication et de publicité prospère. Emboîtant le pas aux chrétiens, Nasfat a ouvert, fin 2005, Tasfan Beverages Limited, une brasserie qui produit Nasmalt. 
Outre l’afflux des fidèles, les Églises et organisations religieuses suscitent aujourd'hui de plus en plus de sympathie dans l’opinion publique. "Elles contribuent au développement économique du pays en réduisant le taux de chômage", reconnaît Faith O. Kajola. "Certaines sont devenues de véritables centres de formation que nous devons encourager", renchérit Igwe Aja-Nwachukwu, l’ancien ministre nigérian de l’Éducation. Le gouvernement fédéral a même assoupli sa position en les autorisant, depuis 2006, à reprendre uniquement les diffusions télévisées des prêches, car, estime Sunday Mba, président de l’Association des chrétiens du Nigeria, il y a maintenant de l’ordre et du sérieux dans ce que nous faisons !".

Par Daouda Aliyou


Monday, November 22, 2010

50 ans d'indépendance, beaucoup de pétrole et peu de développement

En quelques minutes, une dizaine de commerçants ont grimpé sur le toit du gigantesque marché d'Oshodi, à Lagos, où sont installés leurs petits générateurs qu'ils démarrent dans un vrombissement de tondeuse. Coupure d'électricté. Tout ce qu'il y a de plus commun ici.
Cinquante ans après son indépendance, le Nigeria, une puissance pétrolière, vit quasiment dans le noir. Pays le plus peuplé d'Afrique avec 150 millions d'habitants, l'ex-colonie britannique qui a marqué cet anniversaire vendredi 1er octobre dernier, ne produit qu'environ 3.500 megawatts d'électricité par jour.

Une quantité bien loin de répondre aux besoins des Nigérians. A titre de comparaison, l'Afrique du Sud produit environ 43.000 megawatts, pour 50 millions d'habitants.

"Après 50 ans d'indépendance, on n'en est nulle part côté courant (...) Chaque Nigérian a un générateur", se lamente Anthony Ekeke, vice-président du marché électronique d'Oshodi.

Une situation plus que paradoxale pour le huitième exportateur mondial de brut qui tire environ 80% de ses revenus des hydrocarbures extraits du delta du Niger, région pétrolifère du sud.

Permier producteur africain, le Nigeria pompe actuellement 2,14 millions de barils par jours. Mais les milliards de pétrodollars engrangés depuis la découverte d'or noir en 1956 n'ont pas été synonyme de développement pour la gigantesque fédération.

Les infrastructures du pays sont dans un état de délabrement avancé et la plus grande partie de la population vit dans la pauvreté.

D'importants secteurs d'activités, en premier lieu l'agriculture autrefois très développée, ont été délaissés à la faveur de l'émergence d'une "mono-économie" qui a enrichi une toute petite élite très puissante.

"Le secteur pétrolier a été vampirisé par l'Etat nigérian, par l'élite politique. D'après leur perception de la politique, tout tourne autour de qui a accès au pétrole, qui contrôle le pétrole et qui contrôle les revenus", regrette le professeur Daniel Omoweh, professeur de relations internationales à la Covenant University, dans l'Etat d'Ogun (sud-ouest).

Même constat pour Pat Utomi, économiste politique de renom et candidat à la présidentielle de 2011, qui estime que la nation est actuellement dirigée par "toutes sortes de voleurs".

Selon lui, le pays s'en serait mieux sorti sans le pétrole et la corruption à grande échelle qui s'est parallèlement développée au fil des décennies, notamment durant les régimes militaires.

Autre paradoxe, le Nigeria importe son carburant car ses quatre raffineries ne fonctionnent quasiment pas, résultat selon les observateurs de la mauvaise gestion, de la corruption et de la pression exercée par des lobbys tirant profit de ces importations très lucratives.

"Dans nos rêves, le Nigeria devait devenir la puissance africaine, une puissance qui compterait sur la scène politique mondiale", se souvient l'ancien ministre Femi Okunnu, 77 ans.

"Malheureusement, nous avons perdu notre temps et nos ressources (...) La corruption et surtout l'absence de vision de la part de nos dirigeants nous a ramenés de nombreuses années en arrière", déplore-t-il.

Le delta du Niger, dont les populations, très pauvres, affirment avoir été appauvries par l'exploitation pétrolière qui a souillé leur eau et leurs terres, est le théâtre de violences depuis des années.

Des groupes armés affirmant agir au nom d'une plus juste répartition de la manne ont maintes fois saboté des oléoducs, attaqué des plateformes et kidnappé des employés du secteur pétrolier.

 Le parlement examine actuellement un projet de réforme du secteur qui pourrait, selon certains, améliorer la situation et garantir une meilleure gestion des revenus du brut.

Saturday, November 20, 2010

INTERVIEW: Mujahid Dokubo Asari

Ancien leader d’un mouvement armé pour la défense des intérêts du delta du Niger, Mujahid Dokubo Asari est aujourd’hui membre du principal parti d’opposition du Nigeria. Pour lui, la fin de la violence dans le Sud pétrolier passe par l’organisation d’élections transparentes.
Pour protester contre la gestion de la manne pétrolière au Nigeria, Mujahid Dokubo Asari se présente, sans succès, à diverses élections. Il fonde ensuite en 2004 la Force des volontaires du peuple du delta du Niger, le plus important groupe armé de cette région. Pendant un temps, son mouvement bloque la production, mais sans détruire les installations pétrolières comme le font d’autres mouvements.
Arrêté en 2006 pour haute trahison sous l’ex-président Obasanjo, il est relâché un an plus tard par le président Yar’Adua qui, soucieux de pacifier la région, accorde l’amnistie à de nombreux militants armés. À 45 ans, Mujahid Dokubo Asari milite aujourd’hui pacifiquement dans l’opposition.

Q : Qu'est-ce qui justifie votre engagement ?

Mujahid Dokubo Asari : Les agitations dans la région remontent aux années 50 avec la découverte du pétrole. Nous réclamons le contrôle de nos ressources. À défaut, un partage équitable des retombées et le développement de la région. Le gouvernement nigérian tire 95 % de ses revenus de notre territoire. Ce sont nos ressources qui ont servi à développer Abuja, Lagos, Kano, Kaduna et autres. Pourquoi pas le delta du Niger ? On accorde un reversement de 13 % des recettes pétrolières à la région. Une piètre récompense partagée entre les acolytes du pouvoir central.

Q : Que voulez-vous dire ?

M. D. A. : Presque tous les gouverneurs des États de la région pétrolière sont issus du Parti démocratique du peuple (PDP) au pouvoir. Cette tendance est manifeste depuis l’indépendance du Nigeria en 1960. Le pouvoir central nous a toujours imposé des gouverneurs issus d’élections frauduleuses. Ces derniers pillent nos ressources avec la complicité des compagnies pétrolières installées dans la région. C’est l’injustice que nous dénonçons. Plus de 70 % de nos populations sont pauvres ; il n’y a pas d’emploi pour les jeunes et pas d’infrastructures. Pourtant, la région produit chaque jour près de 2 millions de barils de pétrole brut !
Q : Est-ce une attitude délibérée des divers régimes de ne pas développer la région pétrolière? Sinon, qu’en est-il exactement ?

M. D. A. : La guerre civile de 1967 à 1970, au cours de laquelle le Sud (les Ibos) voulait créer la république du Biafra, continue de hanter les gouvernants. Le pouvoir central pense que si notre région se développe, nous allons organiser la sécession. C’est pourquoi on nous fait des promesses illusoires depuis des décennies avec la création d’une commission pour le développement de notre région, puis d’un ministère. On n’a pas mis en place des commissions pour développer les autres villes, pourquoi alors une commission pour notre territoire ?
Q  : Quelle est, selon vous, la solution à cette crise ?

M. D. A. : C’est l’organisation d’élections libres et transparentes qui permettront aux militants que nous sommes de prendre les commandes de la région et de la développer. C’est dans cette logique que mes partisans et moi avons adhéré au principal parti d’opposition (Action Congress) avec l’espoir qu’en 2011, il y aura des élections transparentes, ce qui nous permettrait d’occuper des postes de direction. Nous ne comptons plus sur le pouvoir central. Dans moins de deux ans, le président Yar’Adua achèvera son mandat sans rien réaliser dans la région. Une autre administration viendra avec une nouvelle feuille de route. Comme c’est le cas depuis 50 ans.
Q : Que pensez-vous de l’amnistie accordée en juin dernier aux milices armées par l’ancien  président feu Yar’Adua ?

M. D. A. : C’est une comédie ! Selon la constitution nigériane, on offre l’amnistie à celui qui a commis un crime et qui a été jugé et condamné par une cour. Ici, le président, unilatéralement, décide d’accorder l’amnistie à des gens qu’il ne connaît pas, juste parce que la production de brut est menacée. Cela n’a pas de sens. Ce n’est pas la solution aux problèmes de la région.

 
Q  : Quelles seront vos priorités si un jour vous accédez au pouvoir politique ?

M. D. A. : Revoir la répartition des revenus pétroliers, créer des emplois à nos militants dont 60 % sont nantis d’un diplôme universitaire, mettre en place les infrastructures sociales et encourager les investissements étrangers dans la région.


  
                                                                                                                                    Daouda  Aliyou

Thursday, November 4, 2010

Nigeria : Lagos, plus belle et plus attrayante

Depuis trente ans, le nom de Lagos, la métropole économique du Nigeria, rimait avec insécurité et insalubrité. Grâce aux travaux de restauration en cours, la ville a embelli et la délinquance reculé pour le plus grand bonheur des habitants et des visiteurs de passage. Et le malheur de ceux que ces opérations évincent sans ménagement.

Hosler Muller, un Allemand, agent d’une compagnie de construction immobilière qui vit au Nigeria depuis 5 ans, n'en croit pas ses yeux. "Jusque-là, dit-il, je n’ai jamais osé circuler tard sur cet échangeur, autrefois berceau des criminels. Avec les travaux de réfection et la sécurité actuelle, je compte faire venir ma famille après les fêtes de fin d’année." À l’instar de cet échangeur de Third mainland bride, d'autres quartiers de la métropole nigériane, forte de 17 millions d’habitants, ont été transformés par les travaux entrepris depuis septembre 2007 par le gouverneur de Lagos, Babatunde Raji Fashola.
L'emplacement du redoutable marché d'Adeniji Adele, réputé pour son insécurité et ses odeurs nauséabondes, est devenu un beau jardin public. Oladapo Bankole, étudiant dans l’État d’Oyo au sud-ouest, ne reconnaît plus le quartier Marina qu’il avait quitté il y a seulement six mois : "C'était autrefois un endroit sale. En descendant du taxi, j’ai été émerveillé de me retrouver dans un quartier propre avec des fleurs bien taillées." Dans le quartier d'Alausa, où est installé le secrétariat de l’administration de Lagos, des bâtiments somptueux semblent avoir poussé dans les jardins qui égaient tous les grands carrefours. La transformation des 118 km d’autoroute qui relient Lagos à Ibadan (troisième plus grande ville du pays après Lagos et Kano au Nord) est tout aussi spectaculaire avec le gazon et les fleurs qui bordent les voies.

L'ambition d'un gouverneur

Le contraste avec l'état de la ville auparavant est saisissant. Lagos n'était jusqu'à 2007 qu'un vaste bidonville couvert d’immondices. Depuis le lancement des travaux, qui devraient durer 3 ans, le même scénario s’observe chaque jour sur les grandes artères. Cinq heures du matin : des camions débarquent des femmes chargées du nettoyage. En blouson orange ou rouge, elles balaient les différentes autoroutes de la ville jusqu’à midi, puis les autres routes jusqu’à 19 h. La circulation ne se faisant alors que sur une voie, cela crée des embouteillages monstres, mais les populations acceptent ces désagréments, "d’autant plus qu’à la fin, cela favorise la fluidité de la circulation et réduit les risques d'accident " apprécie un conducteur.
Six heures : les agents chargés du contrôle et de la régulation du trafic sur les autoroutes, se positionnent jusqu’à 19 h. Pantalon marron, chemise jaune clair, et non armés, ils réglementent la circulation et infligent des amendes de 50 000 nairas (370 dollars) aux conducteurs pour mauvais stationnement et dépassement dangereux. Dix-huit heures : les lampadaires s'allument éclairant les places publiques et certains quartiers. Un beau spectacle et une sécurité retrouvée. Selon Musiliu Smith, président de la Commission pour la réduction de l’insécurité à Lagos, "on enregistrait près de 200 plaintes pour vol et braquage par jour dans les commissariats à la fin de l’année 2007. Depuis 4 mois, on en enregistre moins de 40".
Cette évolution résulte de l'ambition du nouveau gouverneur, élu le 14 avril 2007 pour un mandat de 4 ans renouvelable une fois, de faire de Lagos, l’une des plus belles mégapoles du continent, attirante pour les touristes et les investisseurs. Il dit avoir pour cela le soutien du gouvernement fédéral et de la Banque mondiale qui ont mis à sa disposition les moyens nécessaires, sans toutefois préciser le montant de ces opérations.

De nombreux emplois créés

Trois mois après sa prise de fonction, un contingent de 50 000 agents appelés Kick Against Indiscipline ("Tolérance zéro contre l’indiscipline" – KAI) a été mobilisé de jour comme de nuit afin de démolir les infrastructures construites illégalement. "Nous sommes obligés de travailler 24 heures sur 24 parce que les Lagosiens sont têtus. Quand vous les chassez le matin, ils reviennent le soir", remarque Olajire Adebowale, un agent du KAI.
Au-delà de l'aspect l’esthétique, ces travaux sont créateurs de nombreux emplois. C’est ainsi que 566 petits délinquants ont été engagés à plein temps pour entretenir les jardins. Les vendeuses de fleurs et de plants, quant à elles, se frottent les mains. C'est le cas d'Esther Omokaro qui explique que la forte demande a fait augmenter le prix des plants, passé de 50 nairas (0,38 $) il y a deux ans à 150 voire 500 nairas (1,15 et 4 $).
L'embellissement de Lagos ne fait cependant pas que des heureux. Plus de 10 000 bâtiments ont été détruits, sans dédommagement, après plusieurs ultimatums du gouverneur. Trois mille autres, construits sans autorisation sur le domaine public, le seront dès mars prochain pour élargir l’autoroute de 300 km qui relie Lagos à Sèmè (frontière avec le Bénin). "Depuis qu’on a démoli tous les hangars de fortune sous le pont d’Ikeja (siège de l’administration de Lagos, Ndlr), j’ai du mal à m’en sortir. Je vis grâce à ma famille. Avant, je gagnais 2 000 nairas (16 $) par jour. Maintenant, je suis désœuvrée", se plaint Uju Anyanwu, une coiffeuse. Son hangar a été détruit pour faire place à un jardin. Pour justifier ces mesures radicales, le commissaire à l’Environnement de Lagos, Muiz Bamire, affirme que "c’est le prix à payer, car rien de bon ne se réalise sans sacrifice".

Wednesday, November 3, 2010

Nigeria : la médecine traditionnelle se porte bien

Au Nigeria, la médecine traditionnelle se modernise et affiche une belle santé. Ses praticiens sont désormais identifiés et formés et leurs préparations, certifiées, après avoir été conditionnées en laboratoire. Confrontés aux faux médicaments, de plus en plus de clients y viennent.
Au Nigeria, la médecine traditionnelle a le vent en poupe. Partout dans cet immense pays, le nombre de clients et de points de vente augmente. Cette évolution résulte de la formation en Chine et en Inde de tradipraticiens nigérians et de l’importation de matériels modernes qui, depuis les années 1990, permettent de transformer les matières premières brutes (racines, écorces, feuilles) en gélules, comprimés, etc. Des pharmaciens traditionnels disposent aujourd’hui de petits laboratoires où ils testent et fabriquent leurs spécialités. Ces produits répondent ainsi "aux normes internationales et à l’exigence des gens friands de médicaments naturels plus pratiques", explique un thérapeute traditionnel.
Conscient de l’importance économique et sociale de ces activités, le gouvernement nigérian a créé, en 2008, une agence de développement de la médecine traditionnelle. La Nigeria natural medecine developpement agency a d'abord recensé les opérateurs de ce secteur dont elle a aussi évalué les besoins. Et, cette année, elle a proposé au gouvernement de mettre en place des laboratoires de transformation à grande échelle de plantes (feuilles, écorces, racines, etc.)

"Ces innovations nous rassurent"

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 80 % des Nigérians ont eu, en 2008, recours à cette médecine, qui utilise des substances végétales, animales et minérales, assorties de traitements spirituels. Héritage culturel maîtrisé au départ seulement par une poignée d’initiés, elle est exercée aujourd’hui par des milliers de Nigérians. L’adhésion à l’association des tradipratitiens (active dans chacun des 36 États de la fédération) et une bonne moralité sont requises pour exercer. Les tradithérapeutes sont formés dans des instituts spécialisés dont le plus connu est l'Iris College of natural medecine, créé à Lagos en 2007. Les formateurs sont des professeurs en médecine et en pharmacie, imprégnés de la tradition et ayant une bonne connaissance des vertus des plantes.
Le psychologue nigérian Paul Anayo explique ce retour aux sources par le déclin du système médical moderne (sous-équipement des hôpitaux, fuite des cerveaux), mais aussi par la quantité importante de médicaments contrefaits qui circulent au Nigeria. Dans ce pays où, selon les données récentes de la Banque mondiale, 70 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour, la consommation de faux médicaments bon marché endeuille nombre de familles. Lors d’une réunion sous-régionale des douaniers sur la contrefaçon, tenu récemment à Cotonou, au Bénin, le directeur général des douanes de ce pays a révélé que "près de 80 % des médicaments qui circulent en Afrique de l’Ouest sont contrefaits". Au mieux inefficaces, la plupart sont dangereux en raison de leurs effets secondaires.
Les Nigérians estiment que leurs tradipraticiens ont des pouvoirs surnaturels qui leur permettent de diagnostiquer facilement différentes maladies. Plus rationnelle, l’Agence nationale de contrôle des aliments et des médicaments (Nafdac), certifie, depuis 2001, la composition des médicaments et leur mode d’administration. "Ces innovations nous rassurent", indique un client. La Nafdac estime que la certification des médicaments traditionnels a permis à l’État d'engranger plus de 30 millions de $ en 2007.

Un moteur de l’économie nationale


Pour Anselme Adodo, directeur de Pax Herbal Clinic and Research Laboratries, un cabinet traditionnel de soins, cette médecine est parfois mieux adaptée à certains cas, car, selon lui, toutes les maladies ne sont pas naturelles. Certaines résulteraient d'actes de sorcellerie. "Voila pourquoi des praticiens modernes orientent souvent vers nous des cas dont le traitement sort de leur champ d’action", explique-t-il.
Kayodé Farouk, un thérapeute traditionnel, rappelle que ces remèdes naturels ont longtemps été considérés comme réservés aux pauvres. Mais, ils sont plus prisés depuis qu'ils sont présentés comme des médicaments modernes, d'un emploi plus facile. Conséquence, les affaires marchent pour les tradipraticiens qui, aux dires de certains d'entre eux, font partie du club des millionnaires. C’est le cas de Olajuwon Okubena, propriétaire du cabinet Health Forever qui estime à 100 millions de nairas (plus de 470 000 €) son revenu annuel.
Pour le président de l’Association nationale des pharmaciens modernes, Anthony Akhimien, le Nigeria ne fait que profiter du succès des médicaments à base de plantes, en vogue dans le monde entier, en particulier aux États-Unis et en Europe. "Si le gouvernement soutient cette industrie, estime-t-il, elle pourrait constituer un moteur de l’économie nationale comme dans d’autres pays."